Les décorer aux truffes surgelées ; les ranger dans un plat creux carré et les couvrir de gelée. La saison : les truffes surgelées récoltées en début de saison peuvent être moins chères que celles en pleine saison. Bref, comme on ne voulait pas révéler tout crûment que le motif de cet ostracisme était le maintien des prix du bétail français, on était parvenu à déprécier dans l’opinion la viande d’outre-mer, en la représentant comme malsaine ou du moins fort défectueuse. L’Europe, depuis vingt mois, détruit donc au lieu de créer ; elle produit surtout des engins de mort et fort peu de marchandises nécessaires ou utiles à la vie ; il devait arriver très vite que ces marchandises se raréfient et renchérissent. Cet enchérissement méthodique et artificiel, poursuivi avec des intentions excellentes sans doute pour le bien des consommateurs, aurait fini par les exaspérer, surtout dans une période de cherté naturelle des vivres, et l’administration autorise maintenant les charcutiers en gros à marier à leur gré, sans être tenus d’en faire mention, la viande du bœuf à celle du porc, truffe blanche d’Alba ce qui permet de vendre les saucissons meilleur marché.
Ceux-ci ont été assurés, en ce qui concerne le service civil, au moyen de l’affrètement, pour deux années à partir de décembre 1915, de cinquante bateaux de toutes nationalités, d’une capacité moyenne de 6 000 tonnes, dont M. Chapsal, directeur du ravitaillement, suit et dirige de son cabinet tous les mouvemens, heure par heure, afin d’en obtenir le meilleur rendement possible. Lever les filets d’une belle sole ; les battre légèrement ; les plier ; assaisonner, et les ranger dans un plat spécial en terre, muni de son couvercle, et beurré. Au lieu de laisser des fournisseurs indépendans créer la hausse à son détriment, en enchérissant à l’envi les uns des autres sur les marchés d’origine et dans leurs contrats avec les armateurs, l’Etat français a écarté le commerce libre en rétablissant à notre frontière le droit de douane de 7 francs sur le blé, un moment suspendu. Bien que la consommation du gibier fût dix fois moins importante que celle de la volaille, son absence a pu contribuer à faire hausser le prix des animaux de basse-cour ; mais c’est surtout la cherté des grains et, par une répercussion des prix les uns sur les autres, celle de la viande, qui ont fait enchérir les volailles de 50 pour 100, avec cette particularité que les poulets communs se vendent presque au même taux que les produits renommés de la Bresse, et que, dans la plupart des villes de province, d’où partent de nombreuses expéditions pour la zone des armées, les cours sont aussi élevés qu’à Paris et quelquefois même davantage.
Pour la charcuterie au contraire, l’importation a diminué ; mais ce n’est pas à la disparition des « jambons d’York, » dont la qualité supérieure venait presque exclusivement de Hambourg, qu’est due la hausse des porcs qui atteint 50 pour 100 depuis la guerre et surtout depuis un an. Geste platonique, disons-le : l’intendance ne pourra guère céder plus de quelques douzaines de tonnes par jour à la population civile d’ici à la fin de la guerre, et, la guerre terminée, l’éducation du public se fera d’elle-même par les soldats retour du front. Chacun de ces cargos revient à 3 000 francs par jour et, quoiqu’ils soient obligés de repartir sur lest, faute de marchandises de sortie, après avoir déchargé leur cargaison dans nos ports, – deux d’entre eux ont été ainsi torpillés à vide, – le fret moyen pour le blé nous revient entre 8 et 12 francs le quintal, très au-dessous du cours actuel de l’armement. Ce n’est pas du tout parce que l’Etat a fixé à 30 francs le prix du quintal de blé que ce prix a été observé et que le cours du pain est demeuré stationnaire ; mais c’est parce que le gouvernement s’est chargé de fournir lui-même à un prix correspondant, aux meuniers et aux boulangers, le grain et la farine qu’il achetait à l’étranger : 3 millions de quintaux de farine et 16 715 000 quintaux de froment ont été importés en 1915, la plus grande partie des Etats-Unis et d’Argentine, 1 million seulement venait de Russie par Arkhangel, 1 100 000 d’Algérie et de Tunisie.
L’affaire était vaste, – il s’agissait de 900 millions de francs, – elle n’était pas mauvaise, puisque, aux prix actuels, cette même quantité de viande coûterait maintenant 1 200 millions. Elle est prête. Sa toilette est sans doute terminée. Madame ne dépense guère pour sa toilette et Monsieur ne dépense rien pour sa chasse ; ils ont supprimé tout achat de meubles et de bibelots ; or, l’ensemble de ces chapitres représente en temps normal les deux cinquièmes environ des revenus dépassant une quarantaine de mille francs. Le renchérissement de la vie n’atteint pas uniformément toutes les classes sociales ; les riches ont vu diminuer ou disparaître de leur budget certains chapitres qui leur étaient propres : celui des voitures, chevaux et automobiles ; ceux des domestiques et des livrées, des voyages et entretien des propriétés de luxe, des divertissemens et des fêtes. Aujourd’hui où les bêtes à cornes se vendent à merveille, les bêtes à laine dans le midi de la France sont encore à bas prix ; les marchés sont encombrés de moutons de cheptel provenant de propriétés abandonnées par les métayers, que la rareté et les exigences des bergers découragent.